Ariane 6 lâchée pour SpaceX : un coup de massue pour le spatial européen

Le 9 juillet prochain, le monde du spatial aura les yeux rivés vers Kourou, en Guyane française. Il s’agira du tout premier vol de la fusée Ariane 6, qui doit prendre la suite de la célèbre Ariane 5, à la retraite depuis un an. Un vol très attendu qui doit servir de démonstration pour ArianeGroup. L’entreprise veut démontrer qu’elle est toujours à la page, face à une concurrence (de SpaceX essentiellement) toujours plus féroce.

Mais cette mission, qui devait être l’aboutissement d’années de travail pour des milliers de personnes en Europe comme autour du pas de tir, a déjà été entachée. En effet, Eumetsat, l’agence européenne de satellites météorologiques a décidé de gâcher la fête.

Elle devait envoyer un appareil en orbite au cours de ce tout premier vol, permettant à Ariane 6 de ne pas voler à vide. Mais elle a décidé de se rétracter, deux semaines avant le décollage, préférant SpaceX et une fusée Falcon 9 pour envoyer son satellite en orbite.

Un vol à vide

En cette fin de semaine, l’annonce a fait l’effet du bombe. Dans le petit monde du spatial européen, certains cadres ne décolèrent toujours pas. Ils se sentent “trahis” par l’un des leurs, une agence européenne, qui a préféré SpaceX au fleuron de l’industrie spatiale du vieux continent.

Pour Ariane 6 la perte de cette mission est surtout un gros coup symbolique. Les finances de l’entreprise ne seront qu’égratignées par cette désertion, mais pour l’image de marque, c’est une autre histoire. Ariane 6 souffre déjà de la concurrence avec Ariane 5, sa grande soeur adorée de tous et reconnue comme une fusée ultra-fiable, l’annonce d’un vol à vide pour la première mission du 9 juillet n’était pas vraiment la publicité dont ArianeGroup avait besoin.

Une fusée déjà has-been

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La coiffe d’Ariane 6. Elle sera donc vide le 9 juillet prochain pour le vol inaugural de la fusée © ArianeGroup

D’un autre côté, peut-on vraiment en vouloir à Eumetsat. L’agence européenne a choisi la fusée la plus fiable, la moins chère et la plus populaire du marché. Au détriment d’un lanceur européen, inadapté à son époque, et dont les seules qualités avérées sont les lettres de noblesse de son fabricant.

Ariane 6 ne fait rêver personne, et c’est bien là le drame de ce lanceur. Il n’a pas encore quitté la Terre, mais il ne donne envie à aucun industriel ou presque.La fusée est en effet à usage unique, ce qui oblige ArianeGroup à prévoir longtemps à l’avance ses décollages, qui seront au nombre de 2 à 3 par an. Contre plus de 200 pour les Falcon 9 de SpaceX, qui sont réutilisables.

Esthétiquement, comme technologiquement, la fusée semble toujours bloquer au siècle dernier. ArianeGroup mise sur deux propulseurs à poudre pour faire décoller le corps central de la fusée, une architecture abandonné depuis des années par le reste de l’industrie (à l’exception du SLS, la fusée qui doit rejoindre la Lune pour le compte de la NASA, mais dont les plans remontent à 2004).

Pour ne rien arranger, le calendrier d’Ariane 6 a déjà pris trois ans de retard sur les prévisions initiales de son constructeur. Le Covid-19 est en grande partie responsable de ce délai, plus qu’acceptable dans le monde spatial, mais le savoir-faire d’ArianeGroup commence également a être remis en question.

Ariane 6 ne fait pas rêver

Les ingénieurs qui ont fait le succès de l’entreprise semi-privée dans les années 90 avec Ariane 5 sont tous ou presque à la retraire. La nouvelle garde est elle intéressée par des projets plus “innovants” et “flexibles” offerts par le New Space.

Dans un article pour Les Échos, le professeur de l’école des Mines Frédéric Arnoux annonçait déjà au début de l’année 2023 une “fuite des cerveaux” des ingénieurs européens vers les géants américains. Un “exode” particulièrement visible en France. Les résultats de ce processus, enclenché depuis une grosse décennie, seraient aujourd’hui criants chez ArianeGroup malgré les déclarations rassurantes de la direction.

Au début de l’année ArianeGroup a supprimé plus de 700 postes, dans le même temps SpaceX continue de recruter de jeunes ingénieurs à la sortie d’école. Depuis l’été 2020, l’entreprise d’Elon Musk a plus d’employés qu’ArianeGroup.

Un avenir incertain

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L’un des derniers décollages d’Ariane 5, en 2023 © ESA / Arianeespace

Malgré ces critiques et un avenir sombre pour Ariane 6, la fusée volera. Pour deux principales raisons. La première c’est qu’elle présente des qualités certaines. Pour continuer dans la comparaison avec Falcon 9, la fusée européenne peut envoyer 11 tonnes de charge utile en orbite géostationnaire. C’est trois de plus qu’une fusée de SpaceX.

Le deuxième grand avantage d’Ariane 6, c’est son origine. La fusée est, avant même d’avoir volée, la solution numéro 1 pour de nombreux acteurs du spatial. En Europe, elle sera sélectionnée par plusieurs départements et agences, pour des questions de souveraineté mais aussi de sécurité nationale. La DGA (Direction Générale des Armées) n’enverra pas d’appareils sensibles en orbite avec une fusée de SpaceX, sa seule solution est donc à ce jour Ariane 6.

Le New Space européen, adversaire ou confrère ?

Mais même au sein de l’Europe, Ariane 6 pourrait perdre son monopole. La fusée sera en effet concurrencer d’ici à quelques années par d’autres lanceurs (légers pour la grande majorité). Ces fusées sont en cours de développement en France, en Allemagne ou en Espagne. Des dizaines de start-up veulent se faire une place dans le marché des lanceurs européens.

Même au sein du groupe Ariane, la fusée 6e du nom n’est pas la seule solution envisagée pour rejoindre l’espace. Le projet MaiaSpace, filiale d’ArianeGroup pourrait bien faire de l’ombre à la maison mère. Le programme dispose déjà d’une belle enveloppe de 125 millions d’euros pour se développer, et MaiaSpace fait partie des quatre entreprises candidates à un plan de financement gouvernemental de 400 millions d’euros dans le cadre du programme France2030. Le premier vol est lui attendu pour la fin d’année 2025.

Face à autant d’adversaires, l’avenir d’Ariane 6 s’annonce plus qu’incertain. La fusée, qui volera donc à vide le 9 juillet prochain, va devoir rapidement remplir son carnet de commandes si elle ne veut pas tomber dans les oubliettes d’une industrie spatiale en pleine mutation.

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