Comment les régimes autoritaires prennent-ils le contrôle d’Internet

À l’ère de l’hyperconnectivité, Internet, conçu à la base comme un espace d’échanges libres et sans frontières, se voit menacé par l’emprise toujours plus importante des régimes autoritaires. Bien loin des discours tonitruants et des méthodes de censure brutales, ces régimes déploient des stratégies insidieuses pour tisser leur toile de contrôle sur le réseau mondial, étendant leur influence au-delà de leurs frontières.

Une étude récente publiée le 14 février dans PNAS Nexus sous la direction d’Eda Keremoğlu de l’Université de Constance s’est penchée sur la question. Menée par des chercheurs américains et allemands, cette dernière lève le voile sur ces manœuvres sournoises, révélant des techniques de plus en plus sophistiquées visant à museler la dissidence et à orienter le flux d’informations.

Opérations en sous-marin

Alexander Gamero-Garrido est professeur assistant en informatique à l’Université de Californie à Davis et co-auteur de l’étude. Selon lui, la discrétion est l’apanage du contrôle des réseaux de transit, ces autoroutes de l’information qui connectent les différents réseaux d’accès à l’échelle mondiale. « C’est un mode opératoire que les autocraties semblent favoriser, car il est beaucoup moins visible […] Ils agissent dans l’obscurité, loin des regards du public ».

Si les réseaux de transit ont cédé du terrain aux interconnexions directes entre grands FAI dans les pays développés, ils conservent un rôle fondamental dans de nombreuses régions du monde. Ces réseaux, méconnus du grand public, constituent les artères vitales du Web dans de nombreuses régions en développement. L’étude souligne leur importance et met en évidence une disparité : si la propriété des réseaux d’accès ne diffère pas entre les régimes politiques, le contrôle des réseaux de transit est nettement plus centralisé dans les pays autoritaires. Un constat somme toute assez logique, mais très inquiétant.

Ces stratégies leur confèrent un pouvoir de surveillance et de manipulation du trafic internet immense, qui leur permet d’étendre leur influence avec plus d’efficacité.

Monopolisation des réseaux par l’État

Contrairement aux démocraties, où la propriété et le contrôle de ces réseaux sont plus diversifiés, les pays autocratiques se caractérisent par une forte concentration du pouvoir entre les mains d’entités étatiques. « Au moins 75 pays, représentant un quart des internautes mondiaux, sont dominés par un petit groupe de fournisseurs de transit, souvent une seule entreprise », souligne Alexander Gamero-Garrido.

Un contrôle centralisé, utilisé comme un levier redoutable pour surveiller le trafic. En effet, en ayant la main mise sur les infrastructures qui acheminent les données, ces régimes peuvent aisément filtrer les contenus jugés indésirables, limiter l’accès à certaines informations et, plus généralement, étouffer la contestation et orienter le récit médiatique à leur guise.

Coopération technologique entre autocraties

En plus de cela, l’étude met en lumière une réalité, elle aussi, très inquiétante. La tactique est perfide : les régimes autoritaires les plus sophistiqués étendent leur influence vers des pays autocratiques plus pauvres partageant des affinités politiques.

Concrètement, les compagnies internet étatiques des régimes autoritaires les plus riches fournissent souvent des réseaux d’accès aux pays autocratiques plus pauvres. Une coopération politico-technologique permettant auxdits régimes d’étendre leur zone d’influence au-delà de leurs frontières nationales.

Cela permet de former de véritables clusters de pays partageant des pratiques non démocratiques similaires. Grâce à ce procédé, ces collaborations renforcent le contrôle étatique sur l’information et consolident davantage les positions des régimes autoritaires. Ainsi, les pays autocratiques plus pauvres, bien souvent dépendants des technologies et du savoir-faire des pays plus développés, se trouvent par conséquent coincés dans un réseau d’influence qui limite leur capacité à s’affranchir des pratiques autoritaires.

Cette coopération technologique entre régimes autoritaires constitue une menace supplémentaire à la liberté d’expression et à l’accès à une information libre et plurielle pour tous.

Comme le souligne Gamero-Garrido, co-auteur de l’étude, « ces entreprises [NDLR : qui contrôlent les réseaux de transit] sont quasiment inconnues du grand public ». Or, il est crucial de les exposer à la lumière afin de contrer leur influence et préserver un internet libre et ouvert. Cette opacité est leur meilleure arme, et briser cette dernière serait une solution pour limiter leur pouvoir et protéger la liberté d’expression en ligne. C’est un combat de longue haleine que l’on espère un jour pouvoir remporter et qui doit être poursuivi sans relâche. Un espoir peut-être trop optimiste ?

  •  Les régimes autoritaires contrôle le web en manipulant en toute discrétion les réseaux de transit.
  • Ces réseaux sont monopolisés par les États afin de manipuler les flux d’informations, appuyer la censure et contrer toute opposition politique.
  • Les autocraties collaborent entre elles pour étendre leur influence et renforcer leur contrôle sur l’information.

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Par : Opera