Les skins de jeu vidéo : catalyseurs d’exclusion et de pression sociale chez les jeunes gamers

Pour appel, un skin de personnage est l’apparence que celui-ci va arborer dans le monde numérique. À partir du début des années 2000, celui-ci a commencé à prendre de plus en plus de valeur dans les MMORPG ou les FPS compétitifs. Véritable moyen d’expression de l’identité virtuelle chez les joueurs, ceux-ci peuvent affecter les plus jeunes joueurs assez profondément. C’est une étude menée par Kamilla Knutsen Steinnes et Clara Julia Reich, chercheuses à l’Université métropolitaine d’Oslo qui a révélé ce constat assez alarmant. Celle-ci a été commanditée par le ministère norvégien de l’Enfance et de la Famille afin d’analyser comment l’argent influence le jeu vidéo.

L’enjeu des apparences

Le travail des deux spécialistes met en exergue la fonction sociale critique que revêtent actuellement les skins. Ces derniers sont loin d’être de simples ornements, mais vont bien au-delà. Ils agissent comme marqueurs de l’appartenance à un groupe, signalent la capacité financière ou même le statut social au sein de la communauté de joueurs. En effet, pour de nombreux jeux multijoueur gratuits, ces skins se paient avec du vrai argent.

On peut prendre l’exemple du jeu Fortnite, orienté pour une jeune population, déjà sous le feu des critiques depuis plusieurs années (nous y reviendrons plus loin) qui propose de simples skins de personnages à plusieurs centaines de dollars. Ou encore le jeu Counter-Strike 2 (un FPS multijoueur) et ses skins d’armes aux tarifs stratosphériques.

Pour vous faire une idée, certains skins d’arme peuvent se monnayer entre plusieurs milliers de dollars l’unité et monter jusqu’à plus d’un million de dollars ! Il existe donc une réelle économie souterraine des skins, aussi absurde que cela puisse paraître.

Ces quelques pixels deviennent alors un miroir déformant des inégalités présentes dans le monde réel. Pour les populations les plus jeunes, l’effet peut être délétère Selon Reich : « les enfants peuvent être traités de pauvres s’ils n’ont pas dépensé d’argent pour leur personnage ». Un constat catastrophique, soulignant à quel point l’investissement dans les skins peut être perçu comme un achat de sa popularité virtuelle auprès de ses pairs.

L’étude a également mis le doigt sur la pression infernale que les plus jeunes joueurs pouvaient subir pour dépenser leur argent (l’argent des parents plutôt), contraint par la pression de leur cercle social et des tendances inondant les réseaux sociaux. Il existe une réelle compétition à qui aura les plus beaux item cosmétique.

Cet état de fait, déjà affligeant, est empiré par les stratégies marketing de certains développeurs de jeu vidéo, qui use de techniques dignes des pires manipulateurs pour cibler en permanence leur jeune public. Publicités omniprésentes, neuromarketing, pratiques trompeuses, etc.

Tous les coups sont permis pour soutirer un maximum d’argent de la bourse des plus jeunes joueurs. Cette vidéo de Marketing Mania explique parfaitement les techniques trompeuses mises en place par Epic Games, l’éditeur de Fortnite, dans le but de maintenir les joueurs dans un état d’addiction. Celui-ci a d’ailleurs été traîné en justice et condamné en 2022 par la FTC pour  « manquement à la protection des enfants sur le jeu ».

Le résultat de cette pression peut être alors déplorable pour les plus jeunes : harcèlement, moqueries et marginalisation par leurs pairs pour la simple et bonne raison qu’ils ne possèdent pas les derniers skins ou objets cosmétiques.

Entre marketing et roublardise

Les chercheuses ont ainsi pu identifier diverses techniques de manipulation adoptées par certains développeurs (nommés dark patterns). Celles-ci incitent les joueurs à investir plus d’argent ou de temps sur leurs jeux par rapport à ce qu’ils avaient initialement prévu.

Certains de ces mécanismes incluent notamment des éléments de jeux de hasard, comme les loot-boxes (machines à sous virtuelles permettant de remporter des éléments de jeu). Ces dernières peuvent amener le joueur à dépenser de manière inconsidéré son argent. Soit sous la pression de l’exclusivité d’un contenu amené à disparaître, ou sous celle de l’appartenance à un groupe.

Les jeunes joueurs sont nécessairement plus vulnérables face à ces mécanismes déployés dans un marché quasiment sans réglementation. Dans le collimateur de cette étude se retrouve également l’impact de certains jeux sur l’expression identitaire des jeunes et leur intégration sociale. Là aussi, le constat fait froid dans le dos. Un enfant interrogé, Frank, du haut de ses 13 ans explique : « Si tu ne joues avec personne, tu n’as en quelque sorte rien à raconter à l’école ».

Steinnes souligne : « Aucune distinction nette n’existe entre leur monde en ligne et hors ligne. Ce ne sont que différentes parties du monde social dans lequel ils naviguent, et l’apparence, ou les skins, sont des marqueurs d’identité importants ». Cette absence de distinction peut mener à l’isolement des plus fragiles et dans certains cas jusqu’au harcèlement. C’est le cas de la jeune Sidra, 14 ans, victime d’injures sexistes lorsqu’elle joue.

« J’ai entendu des choses comme “retourne à la cuisine”, ou alors “tu es une fille, meurs, meurs, meurs”. C’était, genre, très explicite » explique-t-elle.

L’étude fournie par Reich et Steinnes doit être pris pour ce qu’elle est réellement : un appel à une prise de conscience collective et à l’urgence d’une régulation politique en UE à destination des éditeurs de jeu vidéo. Certains acteurs de cette industrie exploitent sans vergogne les faiblesses de la psyché humaine et n’ont aucun scrupule à cibler les plus jeunes. Les conséquences sont déjà dévastatrices et la situation est alarmante. Aujourd’hui, il est impératif de repenser de A à Z l’encadrement de l’usage de certains médias numériques chez les plus jeunes, en particulier les jeux gratuits.

  • Une étude menée par Reich et Steinnes a mis en lumière l’importance grandissante des skins dans l’univers du jeu vidéo.
  • Ces derniers, en tant que marqueurs d’identité virtuelle, plongent parfois les joueurs les plus jeunes dans des situations néfastes et les soumettent à la pression de l’acquisition à tout prix
  • Certains éditeurs usent de techniques de manipulation marketing pour maintenir les joueurs en situation d’addiction. Un phénomène qui peut les plonger, dans certains cas, dans l’isolement social ou leur faire subir du harcèlement de la part de leurs pairs.

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