Le crunch dans l’industrie du jeu vidéo : quand la pression devient insupportable pour les devs

Souvenez-vous de l’effervescence autour de Cyberpunk 2077 en 2020. Les bandes-annonces époustouflantes, les promesses d’un monde ouvert révolutionnaire… Et puis, le crash ; la descente aux enfers. Le jeu, attendu comme le Messie, est sorti truffé de bugs, complètement injouable, provoquant la colère des joueurs contre CD Projekt Red, le studio en charge du développement. Mais au-delà du fiasco technique, Cyberpunk 2077 a levé le voile sur une pratique sombre de l’industrie : le crunch.

Qu’entend-on par ce terme très exactement ? Celui-ci désigne des périodes de travail particulièrement intenses qui précèdent généralement l’achèvement d’un jeu. Les développeurs sont alors amenés à travailler de longues heures supplémentaires, souvent les week-ends et les jours fériés, afin de respecter des délais très courts. Le phénomène est caractérisé par une immense pression sur les équipes de développement, entraînant une surambondance de travail et une dégradation des conditions de travail et par conséquent de la santé mentale des développeurs.

Cyberpunk 2077 : l’enfer du crunch mis à nu

Pendant des années, les développeurs de CD Projekt Red ont enchaîné les semaines de 100 heures, sacrifiant leur santé et leur vie personnelle sur l’autel du jeu parfait. C’était ça ou la porte, et cette période de crunch aurait déjà débuté en 2018 pour certains départements du studio. Ironie du sort, c’est précisément cette course effrénée qui a conduit à un lancement plus que catastrophique.

Une stratégie assumée par Marcin Iwiński, PDG du studio, que le journaliste Jason Schreier, de Bloomberg, avait pu interviewer en 2019 pour le média Kotaku. Le patron défendait alors une espèce de « crunch non-obligatoire » : « Nous sommes connus – permettez-moi d’être modeste un instant – pour traiter les joueurs avec respect. C’est ce pour quoi nous avons travaillé dur. Et j’aimerais également que nous soyons reconnus pour traiter les développeurs avec le même respect […] Nous avons explicitement communiqué aux équipes que, bien sûr, il y a certains moments où il faut travailler plus dur — comme l’exemple de la démo de l’E3 — mais nous voulons être plus humains et traiter les gens avec respect. S’ils ont besoin de prendre du repos, ils peuvent le faire. Personne ne sera mal vu pour avoir demandé du temps libre ».

Malgré les promesses initiales de CD Projekt Red d’éviter le crunch, la réalité fut tout autre. En septembre 2020, soit quelques mois avant la sortie du jeu, le studio a imposé des semaines de travail de six jours à ses employés. Cette décision, révélée, là aussi, par Schreier, a suscité une vive controverse dans l’industrie et au-delà.

Le résultat de ce crunch intensif fut un jeu bugué jusqu’à l’os à sa sortie, largement inachevé (voir vidéo ci-dessous), particulièrement sur les consoles de la génération précédente. Il lui manquait a minima plusieurs années de développement, les devs n’ayant pas pu remplir le cahier des charges à temps. Les conséquences furent désastreuses : le titre fut retiré du PlayStation Store pendant six mois tant il était complètement et la valeur boursière de CD Projekt Red chuta par la suite de façon spectaculaire.

[embedded content][embedded content]

Le cas Cyberpunk n’est malheureusement pas isolé, loin de là. Rockstar Games, le géant derrière GTA VI et la saga Red Dead Redemption, a lui aussi, été épinglé pour ses pratiques de crunch intensives. Dan Houser, co-fondateur du studio et directeur créatif, s’était vanté en 2018 que son équipe travaillait « 100 heures par semaine » pour finir Red Dead Redemption 2. Une « fierté » qui a vite tourné au scandale. Bioware, Naughty Dogs ou Bioware, tout autant de gros studios ont été, à plusieurs reprises, au cœur de discussions concernant cette pratique.

Les ravages du crunch : au-delà du burn-out

Le crunch ne se résume pas à quelques heures supplémentaires non payées. Cette injonction à travailler d’arrache-pied, à sacrifier son temps libre et sa santé pour un projet est même parfois valorisée au sein des studios. Cela peut créer une forme de compétition où les employés se sentent obligés de suivre le rythme à tout prix. Une culture d’entreprise agissant comme un véritable rouleau compresseur qui broie la santé mentale et physique des développeurs. Dépression, anxiété, troubles du sommeil… La liste des maux est longue.

Il sabote aussi la créativité, l’âme même du jeu vidéo. Comment innover quand on est au bord de l’épuisement ? Les jeux issus du crunch ; en grande partie des jeux AAA ; sont parfois moins audacieux, se cantonnant à des formules éprouvées pour minimiser les risques. Une uniformisation qui appauvrit finalement l’offre vidéoludique.

Une industrie qui tend à évoluer

Face au tollé provoqué par l’affaire Cyberpunk, l’industrie commence à bouger. Certains studios, comme Bungie (Destiny) ou Supergiant Games (Hades), ont pris publiquement position contre le crunch. D’autres vont plus encore loin, comme le français Motion Twin (Dead Cells), qui a opté pour un modèle coopératif sans hiérarchie.

Le scandale Cyberpunk a fait l’effet d’une bombe dans l’industrie du jeu vidéo. Mais au-delà du chaos du lancement, c’est un véritable éveil des consciences qui s’est opéré chez les joueurs. Ce dernier ne se limite pas à de simples discussions et de plus en plus de gamers mettent leur argent là où sont leurs valeurs, cherchant à soutenir les studios qui traitent bien leurs employés. C’est comme si, d’un coup, chacun comprenait que derrière chaque pixel, il y a des êtres humains qui ont parfois souffert. Bien sûr, il serait naïf de penser que du jour au lendemain, tous les joueurs vont scruter les pratiques de chaque studio avant d’acheter un jeu. Toutefois, ce changement, même progressif, fait réfléchir les grands pontes de l’industrie. Car, finalement, ce sont bien les joueurs qui ont le dernier mot, non ?

  • Le lancement chaotique de Cyberpunk 2077 a mis en lumière la pratique du crunch dans l’industrie du jeu vidéo.
  • Le crunch a des conséquences néfastes sur la santé des développeurs et la qualité des jeux produits.
  • La prise de conscience croissante des joueurs et de certains studios pousse l’industrie à reconsidérer ses pratiques de développement.

📍 Pour ne manquer aucune actualité de Presse-citron, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.